En matière de pouvoir d’achat, les biais cognitifs sont légions. Certains pensent que les entreprises ne jouent pas le jeu en conservant une part croissante de la valeur ajoutée, ce que les chiffres démentent. D’autre se focalisent sur l’impact négatif de l’impôt sur le revenu ou de la TVA sans réaliser que ces impôts ne représentent qu’une petite partie des prélèvements obligatoires. Beaucoup ne réalisent pas l’importance des cotisations sociales en considérant qu’elles sont en grande partie financées par les entreprises alors qu’au final les vrais payeurs sont les salariés.
Pour éviter ces travers, l’Institut économique Molinari publie depuis 15 ans avec EY un baromètre annuel de la fiscalité des salariés moyens dans les pays de l’Union européenne. Cet indicateur mesure le coût réel des services publics et de la protection sociale pour un salarié moyen célibataire, sans enfant. La pression fiscale et sociale est calculée en agrégeant les prélèvements obligatoires ciblant les salaires (cotisations patronales et salariales, impôt sur le revenu) et la consommation (TVA). Ces prélèvements sont rapportés au coût employeur, c’est-à-dire la somme des coûts que supportent les employeurs au titre du salarié moyen en question.
En 2024, la contribution fiscale et sociale sur un salarié moyen ressort à 54 %, le record de l’Union européenne. Le salarié moyen en France coûte 59 458 euros à son employeur et dispose de 27 326 euros de pouvoir d’achat net de charges et impôts. Les prélèvements – 32 133 euros – se décomposent en 17 918 euros de cotisations sociales patronales, 9 864 euros de cotisations sociales salariales, 2 451 euros d’impôt sur le revenu et 1 900 euros de TVA.
En 2024, la France est 1ère sur le podium sur les salariés moyens, devant la Belgique (53,5 %), l’Autriche (52,9 %), l’Allemagne (51,2 %) et l’Italie (50,3 %). Dans le reste de l’Union européenne, la fiscalité sur un salarié moyen représente moins de la moitié des sommes déboursées par l’employeur.
L’importance de la fiscalité française est liée aux cotisations sociales patronales et salariales. En France, elles représentent 101 % du revenu disponible du salarié moyen, contre 50 % en moyenne dans l’UE.
Certains pensent que c’est la marque d’une protection sociale plus développée, avec une meilleure couverture vis-à-vis des risques et notamment des retraites plus attrayantes. A les entendre, les cotisations sociales françaises financeraient « un salaire différé » plus généreux qu’ailleurs. Cette idée doit être écartée pour deux raisons.
D’une part, le taux de pression sociale français est plus élevé que dans les pays du Nord à forte tradition sociale (Danemark, Finlande, Suède …). Pour un même coût employeur, le salarié moyen français touche 15 à 22 % de salaire net en moins que les Suédois ou Finlandais qui bénéficient de protections sociales significatives.
D’autre part, l’idée que les cotisations retraite sont un « salaire différé » ignore la situation française. En France les retraites, qui représentent la première des dépenses publiques, sont quasi exclusivement financées en répartition, la capitalisation représentant seulement 2,3 % des pensions versées. Or, dans un système par répartition, les cotisations retraite ne sont pas placées pour fournir un « salaire différé » et servent à payer les pensions des retraités des ainés.
Avec le contre-choc du baby-boom, la répartition française est devenue moins attrayante. Le taux de rendement interne de la répartition, calculé en tenant compte des cotisations et des prestations auxquelles elles donnent droit, recule. Il était de 9 % pour la génération née en 1920. Il est aujourd’hui proche de 2 % et sera au mieux égal à 0,5 % pour les futurs retraités. Le fossé se creuse avec la capitalisation qui a généré un rendement de 4,3 % par an au-delà de l’inflation dans les pays de l’OCDE entre 2011 et 2021.
En France, les régimes de retraite par capitalisation sont peu développés. Ils détenaient 9 % du PIB fin 2023 contre 82 % dans les pays de l’OCDE, soit un écart de 1 à 9. Ce sous-développement de la capitalisation nuit au pouvoir d’achat des actifs, obligés de cotiser plus. Cela explique pourquoi les retraites coûtent en moyenne 11 500 euros à un salarié moyen, lorsqu’on tient compte des cotisations patronales et salariales au régime général et aux retraites complémentaires obligatoires. Nos retraites sont particulièrement couteuses. Elles coutent 7 points de salaire brut de plus aux salariés français (qui cotisent à 28 % du salaire brut contre 21 % en moyenne dans l’UE) et rapportent à peine 4 points de retraite en plus (avec un taux de remplacement net futur de 72 % contre 68 % dans l’UE). L’écart est encore plus significatif avec les pays qui capitalisent et en particulier le Danemark qui a placé 200 % du PIB pour les retraites. Le taux de cotisations retraite y représente 13 % du salaire brut contre 28 % en France et le taux de remplacement net des salariés danois sera de 77 %, contre 74 % en France.
L’importance des cotisations sociales génère des tensions avec, d’une part, des employeurs inquiets de l’envolée du coût du travail depuis des années et, d’autre part, des salariés ayant parfois l’impression d’être mal rémunérés. D’où l’impression que le travail ne paie pas assez, la récurrence d’interrogations sur le partage de la valeur ajoutée ou la persistance d’un chômage plus élevé que chez nos voisins (avec 7,4 % en mai 2024, contre 6 % en moyenne dans l’UE).
Pour contrebalancer les effets de cette surfiscalité sur le pouvoir d’achat, des mécanismes de réduction de charges patronales ont été mis en place. Ils sont parfois présentés comme des « aides aux entreprises », ce qui est trompeur. D’un point de vue économique, les cotisations « patronales » comme « salariales » sont acquittées par l’employeur au titre de l’activité du salarié. Financées grâce à la création de richesse opérée par les salariés, elles augmentent le coût employeur et réduisent le salaire net. Réduire les cotisations patronales – avec notamment 35 milliards d’allégements de cotisations sur les bas salaires en 2022 – est une démarche qui profite aux salariés qui échappent au chômage ou bénéficient d’augmentations de salaire plus attrayantes. L’analyse économique montre aussi que les baisses de fiscalité ne ciblant pas la masse salariale sont susceptibles d’améliorer la situation des salariés. Ils supportent souvent, par ricochet, une part significative des impôts de production ou sur les bénéfices. Lorsque les entreprises n’arrivent pas à reporter ces fiscalités sur leurs consommateurs ou leurs actionnaires, ces charges riment avec moins d’embauches ou d’augmentations de salaires.
Pour limiter les prélèvements sans rogner les prestations collectives ou creuser les déficits, il faudrait financer une partie des retraites – qui représentent la première des dépenses publiques – grâce à des capitalisations collectives, à l’image que ce que font la Banque de France, les pharmaciens (CAVP) ou le Sénat. Cela permettrait, par ailleurs, d’associer encore plus les salariés au partage des profits, comme l’appelait de ses vœux Jean Jaurès, il y a plus d’un siècle. Cela aiderait aussi nos entreprises à financer leurs investissements dans la transition énergétique et dans les technologies de rupture en général.
Mais dans une France éreintée par la dernière réforme paramétrique des retraites, ce n’est pas encore à l’ordre du jour. Ce ne peut être que partie remise car la fiscalité reste trop élevée et les capitalisations collectives une solution à la préoccupation n°1 des Français : le pouvoir d’achat mais aussi la réduction des inégalités patrimoniales et la compétitivité. ■