Les filles sont aujourd’hui plus nombreuses que les garçons dans l’enseignement supérieur et y obtiennent de meilleurs résultats. De plus en plus de femmes ont une activité professionnelle et leur présence sur le marché du travail est désormais une norme sociale. Toutefois, il est encore des domaines où elles restent minoritaires, moins visibles et où leurs perspectives de carrières sont, en moyenne, moins bonnes que celles de leurs collègues masculins. C’est le cas de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique et technologique. Malgré les efforts notables réalisés par les pouvoirs publics, les sociétés savantes et diverses associations pour attirer et promouvoir les femmes dans ces disciplines riches et créatrices au cœur du développement de notre société, leur proportion n’augmente que très lentement, et peut même diminuer en mathématique, physique, mécanique ou informatique.
Très préoccupée par cette situation, l’Académie des sciences a publié un rapport, le 18 juin 2024, où elle dénonce l’absence de parité dans les métiers scientifiques, sans oublier d’analyser sa propre situation, loin d’être satisfaisante à ce jour (2). En s’appuyant sur de nombreuses statistiques, le rapport Sciences : où sont les femmes ? montre que la situation est complexe, influencée par un ensemble de biais et de discriminations. Les défis sont nombreux, les expériences personnelles diverses. Néanmoins, plusieurs leviers existent pour espérer offrir une meilleure place et reconnaissance aux femmes en sciences.
Redonner aux femmes leur juste place dans les sciences et promouvoir une communication à la hauteur des enjeux.
De façon impropre, les sciences sont souvent perçues comme des domaines masculins. Ceci participe à dissuader les filles de poursuivre des études scientifiques, persuadées qu’elles n’y ont pas leur place, et cela se concrétise par des taux très faibles d’étudiantes dans certaines filières scientifiques des grandes écoles et des universités.
Cette idée fausse que les filles n’ont pas les qualités requises pour faire des sciences peut se forger tôt dans l’esprit des élèves, dont les professeurs des écoles ont reçu, pour la plupart, une formation extrêmement limitée en sciences (3) et sont très majoritairement des femmes (4). À disposition des élèves, les manuels scolaires peuvent renforcer les stéréotypes : le peu d’exemples de femmes choisis est souvent limité à des scientifiques hors normes et s’avère contreproductif. Référons-nous plutôt aux jeunes femmes dont la contribution scientifique est remarquable, sans être exceptionnelle ni hors d’atteinte, et qui sont mises à l’honneur à l’occasion de prix (5) !
Plus tard, dans les filières post baccalauréat, la faible proportion de chercheuses et enseignantes-chercheuses, particulièrement dans certaines disciplines (6), limitera d’autant le nombre de modèles féminins permettant à ces étudiantes de se sentir légitimes dans ces domaines où elles peuvent pourtant exceller, puis de se projeter dans les carrières associées.
Pour espérer changer cette dynamique, répétons (7) que la formation des professeurs des écoles doit être améliorée au moyen notamment de parcours pluridisciplinaires adaptés, offrant une belle place aux sciences. Aussi, l’évolution des mentalités, où les biais de genre peuvent être solidement ancrés, passera par des campagnes de sensibilisation de l’ensemble des acteurs de la communauté éducative et par la formation des enseignants à leur reconnaissance et leur déconstruction. Enfin, donnons aux jeunes la possibilité de mesurer combien une vie scientifique peut être riche et épanouissante ! En ce sens, je ne peux que promouvoir les programmes tels que celui de la Fondation L’Oréal (8), permettant à des jeunes femmes ayant une formation scientifique de montrer, à l’occasion d’interventions en classe, les multiples facettes de leur activité et de transmettre leur passion et leur enthousiasme pour leur travail de recherche.
Rendre les carrières scientifiques plus attractives pour les femmes.
L’idée dominante de la réussite scientifique individuelle reste improprement celle du meilleur compétiteur, rapide, flexible et doté de plus de moyens, et peut apparaître difficilement conciliable avec une vie de famille. Au cours des dernières années, l’âge moyen de recrutement des chercheurs et universitaires a sensiblement augmenté et, ce, dans tous les domaines scientifiques. Dans ces conditions, l’autocensure des femmes et le décalage qui se crée entre rythmes personnel et professionnel sont déterminants dans leur découragement à embrasser ou à poursuivre une carrière scientifique. Celles qui réussiront à obtenir un poste permanent l’obtiendront, en moyenne, plus tard que leurs collègues masculins et seront, ensuite, confrontées au « plafond de verre (9) » présent, quel que soit le domaine scientifique.
Afin de construire un nouveau modèle de réussite et garantir l’équité, les processus de recrutement et de promotion doivent évoluer. Cela passera par une formation des jurys à l’existence des biais et aux pistes de remédiation, l’établissement de critères d’évaluation non discriminants envers les chargés de famille, un recrutement plus jeune et à des postes junior. Aussi, à mes yeux, comme à ceux de nombre de confrères et consœurs de l’Académie, une meilleure valorisation du collectif dans la créativité scientifique est cruciale : les progrès de la recherche résultent avant tout d’un travail d’équipe, et non de l’investissement d’un génie isolé ayant tout sacrifié à la recherche.
Engager l’ensemble de la communauté scientifique dans la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.
Objet d’une véritable prise de conscience ces dernières années, les violences sexuelles et sexistes touchent l’ensemble de la société. Force est de constater que le monde scientifique peut créer des situations sensibles, notamment envers les personnels sans poste permanent. Donner envie de faire des sciences c’est aussi démontrer que le milieu scientifique est propice à l’épanouissement et non un monde où règne l’omerta. Les données effarantes du sondage mené par Ipsos pour la Fondation L’Oréal doivent servir d’alerte et conduire à une grande vigilance. La communauté scientifique gagnera à être intraitable sur ces questions et à se doter d’un observatoire national permettant de suivre les sanctions prises contre ces violences, comme toute forme de discriminations et, ainsi, de jalonner les progrès communs.
La sous-représentation des femmes dans les sciences n’est pas seulement un problème d’équité, mais également une perte de talents et de perspectives pour le progrès scientifique et ses apports à nos sociétés. Des initiatives efficaces existent et méritent d’être renforcées, voire diffusées. Ce problème est l’affaire de toutes et tous, et mérite une mobilisation collective des institutions, des politiques, et de la société pour la parité et, plus généralement, pour promouvoir un environnement d’étude et de travail respectant la liberté de chacun et l’égalité des chances de tous. Puissent de plus en plus de jeunes filles et jeunes femmes connaître la richesse des métiers de la recherche en sciences telle que j’ai la chance de la vivre ! ■
1. On célèbre, cette année, les 200 ans de la naissance de Julie-Victoire Daubié, première femme en France à obtenir, en 1861, le baccalauréat, diplôme donnant accès aux études supérieures.
2. 74 académiciennes pour 3292 académiciens élus depuis 1666, mais une proportion actuelle de 18 % de femmes.
3. Seulement 4,6 % des étudiants de la formation préparant au concours de professeur des écoles avaient une licence en sciences à Paris, en 2019.
4. Respectivement 84,6 % et 91,6 % des enseignants du 1e degré des secteurs public et privé sous contrat à la rentrée 2022 sont des femmes.
5. Voir par exemple les lauréates du prix Irène Joliot-Curie, remis chaque année à des femmes scientifiques à la carrière exemplaire.
6. Moins de 20 % des professeurs d’université sont des femmes en mathématique, mécanique, génie informatique, astronomie ou astrophysique.
7. L’Académie des sciences, dans le cadre de sa mission de veille sur l’organisation de l’enseignement scientifique, alerte les pouvoirs publics sur ce sujet depuis de nombreuses années.
8. Programme Pour les filles et la Science.
9. Alors que 48 % des doctorats sont délivrés à des femmes, celles-ci n’occupent que 24 % des postes de grade A dans la recherche.