Doit-on célébrer le record mondial d’affluence touristique 2015 avec plus de 85 millions de visiteurs estimés ou s’alarmer que le traumatisme lié aux attentats et l’Etat d’urgence accentuent la désaffection des touristes chinois et japonais pour la France et aggravent la baisse des recettes du tourisme ?
La réalité est cruelle. J’étais à Tokyo et à Moscou ces dernières semaines et j’ai constaté une baisse de « l’envie de France ». Non pas que nos atouts aient disparu mais nous perdons du terrain, par rapport aux grandes nations comme les Etats-Unis, mais aussi par rapport à nos voisins européens de taille comparable, qui font émerger de nouvelles destinations. Or le tourisme est devenu un enjeu de compétition entre états. Barack Obama ne cesse-t-il pas de répéter qu’il veut faire des Etats-Unis la première destination au monde et la Chine, récemment, n’a-t-elle pas lancé un vaste plan tourisme ?
Nous avons salué la prise de conscience politique qui a conduit Laurent Fabius à déclarer le tourisme « grande cause nationale ». Chef d’entreprise, développeur d’un tourisme ancré dans nos régions, amoureux du patrimoine national, je crois dans la continuité de l’action. Que le tourisme soit maintenu dans le périmètre du Ministère des Affaires étrangères, cœur battant d’une diplomatie des territoires, est une bonne chose. Les mesures volontaristes du Quai d’Orsay comme les initiatives des réseaux économiques et diplomatiques donnent corps à la défense du « trésor national ». Jean-Marc Ayrault annonce le lancement d’une campagne de promotion déployée sur 16 marchés stratégiques représentant 83 % des séjours internationaux en France. Devant les professionnels du secteur, il vante une industrie « qui emploie 1,2 million de personnes et représente 7,4 % du PIB ». Très bien. On agrée quand le ministre martèle « on peut venir confiant en France ». Mais il y a loin de la coupe aux lèvres pour faire du tourisme une industrie à part entière.
Assurer la sécurité des touristes, améliorer l’accueil et le service, relancer l’investissement, déployer les formations et assurer l’accès au numérique de toutes les entreprises du secteur : la tâche est immense et le temps compté.
Car sur le terrain, le constat est inquiétant. Le retard d’investissement depuis 15 ans rend l’offre en région peu en adéquation avec les attentes des nouveaux voyageurs internationaux. Le tourisme a souffert, à l’image de notre économie, d’un affaiblissement notoire des marges des entreprises. La baisse imposée du temps de travail, la fiscalité dissuasive et l’envahissement des normes ont freiné l’émergence de nouveaux acteurs comme d’entreprises de tailles intermédiaires. Ne considérer le tourisme français qu’au travers des groupes Accor, Club Med ou Pierre et Vacances est une erreur stratégique grave à l’heure où les visiteurs du monde entier recherchent des expériences « uniques » et le « sur-mesure » offerts par une distribution largement numérisée. Car plus que la quantité, c’est la qualité de nos capacités d’accueil qui est en cause. La France doit oser le « haut de gamme » et avoir pour obsession de capter des touristes internationaux à forte contribution. Nous devons faire de notre pays la référence mondiale en matière de service et d’accueil Le fait qu’un touriste dépense trois fois plus en Allemagne qu’en France n’est pas une fatalité !
Jusqu’à récemment, nous pouvions encore vivre de cette image du garçon de café mal aimable au Mont-Saint-Michel ou sur les boulevards parisiens. Cela faisait un peu partie du folklore. Mais aujourd’hui c’est devenu un véritable handicap. N’oublions jamais qu’un touriste japonais mal accueilli dans un restaurant, que l’on assoit au fond de la salle dans un coin se demande ce qu’il a fait de mal pour être ainsi puni. C’est dans son éducation. Avec la prolifération des sites de notation ceci devient très problématique. Sur Trip Advisor, parmi les cinq villes les moins agréables au monde, trois sont françaises : Marseille, Cannes et Paris. C’est dévastateur.
La cause est donc bien d’intérêt national.
Le tourisme peut permettre à notre pays de retrouver le chemin de la croissance et de la cohésion sociale et territoriale. Au plan économique, en réalisant simplement la croissance moyenne du tourisme mondial, il apporterait un point supplémentaire de PIB à la nation. En matière sociale, parce c’est une industrie de main d’œuvre non-délocalisable, il pourrait créer 100 000 emplois par an. Parce que ce sont des métiers aux mille visages, le tourisme peut offrir aux jeunes autant d’opportunités d’insertion dans l’emploi grâce à des formations courtes et qualifiantes. Quand Thierry Marx crée une formation sur douze semaines, « cuisine mode d’emploi », il a aussitôt 450 demandes. Quand il propose une formation « service » il n’en reçoit aucune. Les services ont une connotation trop négative, en France. Dans notre pays ce mot est trop souvent associé à « servitude ». Ce n’est pas seulement le système de promotion du tourisme qu’il faut changer ! Ce sont les mentalités.
Le tourisme est aussi un vecteur formidable d’aménagement du territoire et de valorisation de notre patrimoine incomparable. Avec la volonté de promouvoir le meilleur de nos régions, de nos produits et de notre gastronomie, nous assurerons l’essor de l’écotourisme, du tourisme durable, de l’écotourisme, le développement de « circuits courts », offrant des débouchés aux paysans de petites exploitations et une montée en gamme aux restaurateurs locaux. Accompagné par le dynamisme culturel de nos territoires, le triptyque tourisme – agriculture – culture sera l’atout gagnant de notre pays. Une étude réalisée par American Express auprès des touristes appartenant à la catégorie la plus aisée démontre qu’ils recherchent désormais des services uniques, sur mesure, authentiques et locaux. Cela ne signifie pas forcément un service luxueux ou ostentatoire. La randonnée si elle s’opère dans des sites uniques, avec des étapes de qualité et un encadrement sur mesure attire cette catégorie de touristes. Et dans ce domaine, la France a un atout à la différence de destinations comme l’Espagne qui sont identifiées selon deux critères uniques, le soleil et la plage. Notre diversité est une chance, même si à court terme elle apparaît comme un handicap : à l’échelle du monde c’est difficile d’expliquer quelle est la différence entre le Pays basque et le Bassin d’Arcachon. Puisqu’il est impossible de défendre ces particularités, ayons un message simple et unique à l’international : la France est riche de sa diversité et quel que soit l’endroit où vous vous rendrez, vous y serez bien reçu et redécouvrirez le goût des choses, selon vos propres goûts.
Nous devons donc être ambitieux mais aussi lucides. Il nous faut travailler tous, acteurs privés et publics, main dans la main et chacun à sa place.
Aux élus, il revient de renforcer la sécurité des touristes, bien évidemment, restaurer la propreté - Paris est classée 32ème ville du monde sur ce critère ! - ou encore améliorer l’accès à la capitale depuis l’aéroport Roissy Charles de Gaulle qui n’est pas à la hauteur de la principale porte d’entrée dans notre pays. Mais il faut faire bien plus comme par exemple assurer une véritable diffusion de l’Internet Haut Débit sur tout le territoire. Ce n’est pas un gadget, au contraire : à l’heure des grandes régions, à quoi servent encore les maisons locales d’accueil des touristes ? En lançant des applications pratiques recensant de façon pertinente l’ensemble des lieux touristiques français, en expliquant comment s’y rendre, où trouver un hébergement et une restauration de qualité, on peut renseigner un touriste de façon directe en lui proposant, justement, un service unique. Arrêtons de gaspiller de l’argent dans des structures inutiles ! Simplifions le millefeuille des structures de promotion ! Retrouvons le sens et la vertu de l’hospitalité !
Je suis confiant dans la mobilisation et la volonté commune de relever le défi avec tous les talents de l’hexagone. ■
* Avec sa femme Alice, Jérôme Tourbier a fondé plusieurs établissements liés au célèbre domaine bordelais Château Smith Haut-Lafitte - Les Sources de Caudalie, Les Étangs de Corot Vient de publier : « TOURISME EN PERIL » aux Editions JC Lattes