Le 13 octobre est sorti dans toutes les bonnes librairies de France le livre L’Euro est-il mort, publié aux éditions du Rocher. Ce livre est une nouvelle contribution au débat, désormais bien engagé, sur l’Euro. Ce livre traite donc d’une question importante. C’est un livre collectif, écrits par des contributeurs appartenant à diverses écoles de pensées. Alberto Bagnai est connu pour ses positions post-keynésiennes, et avec d’autres auteurs il représente la gauche de combat dans cet ouvrage. On peut aussi citer Maria Negreponti-Delivanis, qui nous parle de la tragédie grecque provoquée par l’Euro, Olivier Berruyer ou Antoni Soy. D’autres auteurs ont des points de vue plus libéraux, comme Gérard Lafay, Jean-Jacques Rosa, Charles Gave ou Jean-Pierre Gérard. Certains sont des universitaires, ayant fait carrière et gravi les divers échelons qui conduisent au professorat. D’autres sont ce que l’on appelle, parfois avec une condescendance que rien ne peut justifier, des praticiens. Pourtant, bien souvent, ce sont ces mêmes praticiens qui ont une vue plus juste et plus pratique des problèmes posés. Et c’est justement le cas au sujet de l’Euro. C’est donc cette diversité des points de vue qui est extrêmement intéressante et stimulante. Nous arrivons aux mêmes conclusions par des chemins différents. C’est dire l’importance du principe de réalité, qui s’impose à tous quand on regarde les conséquences de la monnaie unique.
L’euro, une crise qui ne finit pas
Car l’Euro, n’en déplaise à certains, est en crise. Il est en réalité en crise permanente depuis 2009, depuis le commencement de la crise grecque. Les péripéties ont été multiples, et les dirigeants européens se sont à de multiples reprises déjugés sur la politique à mener dans la zone Euro. Le seul point sur lequel ils sont restés fermes est la volonté de sauver l’Euro à tous prix, y compris à celui de crises effroyablement brutales, hier en Grèce, en Espagne au Portugal et en Irlande, et aujourd’hui en Italie et en France. L’éventuelle sortie de l’Euro polarise aujourd’hui une partie du débat politique. Avec la sortie récente de la traduction en français du livre de Joseph Stiglitz (1), et de quelques autres (2), cette question a désormais acquis sa légitimité. On sait, et je l’ai d’ailleurs écrit, que l’Euro était un problème non seulement économique mais aussi politique, qu’il concernait non seulement la France mais aussi l’Union européenne. Les trois candidats potentiels à l’élection présidentielle d’avril 2017 qui incluent la sortie de l’Euro dans leur programme, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan et Marine le Pen feraient bien de mettre leurs équipes au travail sur cette reconfiguration à venir s’ils ne veulent pas être dépassés par les événements.
Il est des responsables politiques pour tenter d’effrayer le chaland. Il en est ainsi des déclarations irresponsables de Laurent Wauquiez par exemple affirmant que l’épargne des Français serait amputée de 30 % par une telle sortie (3). En fait, l’épargne en Euro serait naturellement reconduite en (nouveaux) Francs. Et, si Monsieur Wauquiez croit que la totalité de notre consommation est importée, il se trompe, et il aurait pu vérifier ses sources facilement auprès des publications de l’INSEE. Mais, Monsieur Wauquiez préfère jouer sur les peurs collectives plutôt que de se comporter en politicien honnête et responsable. En réalité, si l’on admet une dépréciation de 30 % par rapport à l’Allemagne, seules les dépenses réalisées en produits allemands subiraient le poids de cette dépréciation. Celles réalisées en produits italiens ou espagnols se verraient avantagées car, une sortie de la France de l’Euro aurait pour conséquence l’éclatement de la zone Euro, et une dépréciation des monnaies italienne et espagnole par rapport au Franc…
On peut même aller plus loin. Une étude écrite par Cédric Durand (4) (de l’Université Paris-13) et Sébastien Villemot (de l’OFCE) montre que le risque provoqué par une sortie de l’Euro est nul pour les pays de l’Europe du Sud (5). Les catastrophes annoncées, tout comme pour le Brexit, s’avèreront donc imaginaires dans la réalité. Mais c’est bien à un « projet peur » (Project Fear) que se résumera la stratégie des adversaires d’une sortie de l’Euro tant aujourd’hui que demain.
Importance du déni de réalité
La crise de l’Euro est donc certaine. Mais, la clôture autistique qui caractérise les réactions de bien des politiques en France ne l’est pas moins non plus. L’existence d’un écart lié à la fois à la sous-évaluation de la monnaie allemande dans le cadre de l’Euro et à la surévaluation de la monnaie française est cependant indéniable. Il est aujourd’hui admis par une grande majorité d’économistes, même si les évaluations sur ce point divergent. Une étude du FMI, encore lui, l’évalue à 21 % (6). On peut considérer cette évaluation comme juste, tout comme on peut considérer qu’elle tend à sous-estimer l’ampleur du problème.
Reprenons alors les données du problème en France. Sans un écart du taux de change d’au moins 25 % entre l’Allemagne et la France (et sans doute plus, de l’ordre de 30 %), la France n’est pas compétitive. Mais, comment peut-on obtenir un tel écart dans un régime qui fixe les parités monétaires, tout comme l’étalon-Or des années vingt et trente du vingtième siècle le faisait ?
Alors cet écart peut, bien sûr, être obtenu en faisant baisser les salaires en France et en espérant que ces mêmes salaires augmentent en Allemagne. Mais, même en espérant, ce qui est en réalité illusoire, une hausse réelle de 10 % en Allemagne, cela implique une baisse de 15 % en France, avec les effets dévastateurs qu’aura une telle politique sur l’économie française, et ce d’autant plus que nous sommes dans une situation grave, avec un très fort chômage et une baisse de l’investissement. La volonté de faire diminuer les déficits publics, qui en règle générale accompagne cette politique aurait, de plus, des conséquences dramatiques. On sait que de telles réductions des dépenses publiques, et cela est maintenant admis par une majorité des économistes y compris les économistes du Fond Monétaire International (7), auront un impact très négatif sur la croissance, et donc sur l’emploi.
L’autre solution, qui serait non seulement incontestablement moins coûteuse, mais aussi dont la garantie de succès est considérablement plus élevée, consisterait à sortir de l’Euro, à laisser le « nouveau » Franc se déprécier d’environ 10 % tandis que l’Euro allemand (et plus certainement encore le DM, car une sortie de la France ferait exploser la zone Euro) se réapprécierait d’environ 20 %. Cette solution est en réalité la seule qui permette à la fois de résorber une partie du chômage de masse que nous connaissons (entre 1,5 et 2,0 millions à court terme), et de rééquilibrer nos comptes sociaux (moins de chômage signifiant plus de cotisations et moins de prestations) mais aussi nos comptes publics.
Nous pouvons donc diverger sur les solutions à mettre en œuvre une fois que l’Euro sera détruit. Mais, nous nous retrouvons tous sur le constat atterré du désastre tant économique que politique qu’a provoqué l’Euro. La perspective d’une sortie est aujourd’hui la seule qui offre des chances raisonnables à l’économie française de repartir. ■
(1) Stiglitz J.E., L’Euro : comment la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2016.
(2) Dont mon propre ouvrage Sapir J., L’Euro contre la France, l’Euro contre l’Europe, le Cerf, 2016
(3) http://www.rtl.fr/actu/politique/laurent-wauquiez-est-l-invite-de-rtl-du-mercredi-14-septembre-7784845031
(4) Qui avait collaboré à une première étude sur la sortie de l’Euro, Sapir J., Durand C. et Murer P., Les scénarii de dissolution de l’Euro, (avec P. Murer et C. Durand) Fondation ResPublica, Paris, septembre 2013.
(5) Durand C. et Villemot S., Balance Sheets after the EMU : an Assessment of the Redenomination Risk , texte présenté au séminaire de l’OFCE, Paris, le 6 septembre 2016. Présentation : http://sebastien.villemot.name/pdf/talks/2016/balance-sheets-after-the-EMU-ofce.pdf
(6) IMF, 2016 EXTERNAL SECTOR REPORT, International Monetary Fund, juillet 2016, Washington DC, téléchargeable à : http://www.imf.org/external/pp/ppindex.aspx
(7) Blanchard O. and Daniel Leigh, Growth Forecast Errors and Fiscal Multipliers, IMF Working Paper, Janvier 2013, Washington DC. Voir aussi, Baum A., Marcos Poplawski-Ribeiro, and Anke Weber, Fiscal Multipliers and the State of the Economy, IMF Working Paper, décembre 2012, Washington DC.